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Projet de loi fraude fiscale : les avocats en ligne de mire

Publié aux Echos

Présenté le 28 mars dernier en Conseil des ministres, le projet de loi Fraude fiscale fait de l’avocat le complice par profession de la fraude et le sanctionnera à ce titre

La fraude fiscale continue d'être au coeur des préoccupations, pour ne pas dire des obnubilations, de l'exécutif et se voit flanquée d'une nouvelle loi. La digestion restait incomplète de la création de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) en octobre 2013 puis de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale (qui avait créé le parquet national financier, renforcé les sanctions pénales et allongé la prescription de 3 à 6 ans). Et pourtant, le gouvernement estime toujours que les outils en place sont insuffisants.

Si l'on excepte la création de l'accès direct des agents de l'administration sociale aux fichiers de leurs homologues de l'administration fiscale qui constitue une nouvelle entorse, brisure même, au secret fiscal, c'est le traitement réservé aux avocats qui laisse pantois. En effet, les articles 6 et 7 du projet de loi prévoient la création de deux nouvelles sanctions administratives, exclusives de sanctions pénales.

Il est d'abord question d'une sanction administrative complémentaire des sanctions financières existantes, qui consiste à publier sur le site internet de l'administration fiscale l'identité du fraudeur, la nature des droits fraudés, les rappels d'impôts et sanctions financières. Cette mesure dite "name and shame" vise exclusivement les personnes morales.

Ensuite est créée, sous une étrange dénomination de "sanction à l'égard des tiers", une sanction administrative, financière, applicable aux "personnes qui concourent, par leurs prestations de services, à l'élaboration de montages frauduleux ou abusifs".

 

Sont visés "des officines d'optimisation fiscale, des avocats fiscalistes, des conseillers financiers, voire des avocats, notaires ou comptables qui exercent à titre individuel ou les sociétés qui rendent des services similaires". L'anathème est sans ambages et révèle la triste opinion qu'ont ses auteurs des avocats qui se voient ainsi désignés de complice par profession.

Le nouvel article 1740 A bis du Code général des impôts prévoit que lorsque l'administration fiscale prononce à l'égard du contribuable la majoration de 80 % (en cas d'abus de droit et/ou de manoeuvres frauduleuses), "toute personne physique ou morale, qui dans l'exercice d'une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d'un tiers, a intentionnellement fourni à ce contribuable une prestation permettant directement la commission des agissements sanctionnés, est redevable d'une amende de 10 000 EUR pouvant être portée à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable".

Le projet indique que la prestation du professionnel visé peut notamment consister à réaliser pour le compte du contribuable tout procédé destiné à "égarer l'administration", incrimination que l'on pourra trouver singulièrement imprécise quand l'on connait l'obligation de rigueur et de précision de la loi pénale. Mais il est vrai que cette sanction sera purement administrative et se passera du contrôle judiciaire, ce qui promet déjà une belle joute devant le Conseil constitutionnel.

Voilà donc les avocats couverts d'opprobre et menacés de sanctions pour le simple accomplissement de leur métier. Car nous reprocher de faire oeuvre d'intelligence, d'ingéniosité ou d'à-propos pour permettre à nos clients d'échapper aux foudres fiscales revient tout simplement à demander notre disparition.

La lecture des travaux du Conseil d'État s'achève sur la question du secret professionnel pour laquelle le palais royal peine à cacher son embarras. La plaisanterie est définitive quand l'on comprend qu'en créant une sanction administrative échappant à tout contrôle judiciaire, le gouvernement vise à conférer à l'autorité du même nom le triple rôle de partie, d'enquêteur et de juge de la responsabilité engagée et de la sanction, ce qui heurte nos principes constitutionnels.

https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-183198-projet-de-loi-fraude-fiscale-les-avocats-en-ligne-de-mire-2178682.php#xtor=CS1-1

 

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