Traité transatlantique : la Commission européenne cherche à rassurer les élus locaux
Suite à l’adoption d’un avis de la commission de la politique économique et sociale (ECOS) sur l’incidence locale du traité transatlantique, la commissaire en charge du commerce Cécilia Malmström a assisté, jeudi 12 février, à la session plénière du comité européen des régions (CdR). Objectif : communiquer sur le potentiel du traité transatlantique, rassurer les élus locaux sur la transparence des négociations et la prise en compte de leurs intérêts, ainsi que leur garantir le respect de l’autonomie des services publics ou encore des normes et des valeurs européennes
Alors que l’inquiétude et le scepticisme grandit au sein de la société civile, la Commission européenne prend désormais très au sérieux les initiatives des collectivités locales et territoriales. Laissant aux gouvernements nationaux le soin de rassurer certaines collectivités territoriales effrayées, la commissaire européenne en charge de la négociation du traité transatlantique (TTIP, également appelé TAFTA) avec l’administration Obama est, elle, venue en personne à la session plénière du Comité européen des régions (CdR).
« Ce que vous dites ici à Bruxelles est basé sur une compréhension profonde des populations de votre région. Et lorsque vous parlez des politiques européennes chez vous, vous pouvez mettre en relation notre travail avec leurs vies comme dans nul autre cadre du système de l’UE. C’est pourquoi votre rôle dans le débat public à propos des négociations est si important » a insisté, jeudi 12 février, Cecilia Malmström.
Des négociations ouvertes aux élus locaux - Sa câlinothérapie n’a pas empêché l’adoption de l’avis de Markus Töns, tout à la fois bienveillant et attentif, conscient des perspectives de relance de la croissance mais aussi des risques que contient ce traité transatlantique. Les représentants des pouvoirs locaux et régionaux des 28 États membres de l’Union européenne n’ont pas reçu de réponse claire quant à l’une de leurs principales revendications.
Dans son avis, ce membre du landstag de Rhénanie-du-Nord-Westphalie réclamait que le Comité européen des régions soit intégré au groupe consultatif sur les négociations relatives au traité transatlantique. Une ambition justifiable par la mission du CdR, qui est officiellement d’associer les collectivités locales et territoriales ainsi que les populations qu’elles représentent au processus décisionnel de l’Union européenne.
Plus de transparence - « Le TTIP ne doit pas mener à un déficit démocratique en ignorant la voix des régions et des villes », l’avait interpellé, plus tôt, Markus Töns. « Les représentants locaux et régionaux devraient dès lors être inclus dans les prochaines étapes des négociations et le Comité européen des régions constituera d’ailleurs un partenaire clé au sein de ce processus. »
Plus globalement, ces élus locaux connaissant parfaitement le fonctionnement des institutions bruxelloises ne se satisfont pas de l’effort de communication engagé par la commission Juncker récemment intronisée.
« La majorité d’entre vous souhaite un traité ambitieux, équilibré, respectant les citoyens, les collectivités territoriales, les Etats et les entreprises. Autant de garanties données par le mandat de négociation que nous avons publié. Prenez en connaissance afin que vous sachiez de quoi nous parlons » a tenté de les convaincre la commissaire européenne.
Stratégie de communication - Mais, en raison du niveau de confidentialité encore extrêmement élevé de ce mandat de négociation effectivement divulgué à la fin de l’année dernière, et faute de publication des directives de discussion, les représentants du Comité des régions considèrent que les collectivités régionales, locales et à travers elles le grand public ne disposent pas d’un accès suffisant à l’accord en cours d’élaboration. C’est pourquoi le groupe de partis de centre-droit et de droite (PPE) réclame à la Commission européenne, par la voix de l’autrichien Christian Buchmann, une « véritable stratégie de communication permettant de réduire le fossé entre Bruxelles et les collectivités. »
Considérant comme acquis la définition des normes de protection par des instances démocratiquement élues ainsi que la préservation de « la qualité élevée des services publics européens », en particulier des services d’intérêt général, ils rappellent à l’UE la nécessité de respecter l’identité nationale des Etats membres, leurs structures politiques et donc l’autonomie locale et régionale que ces derniers ont accordé à certaines de leurs institutions.
Autonomie locale et régionale - « La participation démocratique et les compétences des représentants des collectivités locales et régionales ne doivent en aucun cas être limitées voire remises en cause […]« L’ouverture du marché européen à la concurrence ne doit pas se faire au détriment du principe de l’autonomie locale et régionale inscrit dans les traités de l’UE […] L’autonomie organisationnelle des collectivités locales doit être garantie et la « recommunalisation » doit rester pleinement possible conformément à la volonté de l’électorat local » réclament par exemple les Régions et les villes d’Europe.
Listant les services publics concernés par les négociations, conformément au point 19 du mandat de négociation (fourniture d’eau et d’énergie, élimination des déchets et des eaux usées, services publics de santé et de protection sociale, services de secours, éducation préscolaire, éducation et enseignement supérieur, formation des adultes, formation continue, transports publics locaux, logement, aménagement et développement urbain), le Comité européen des régions semble sceptique sur les nouvelles mesures de libéralisation prévues par le traité transatlantique.
Protection des services publics - Markus Töns et ses collègues souhaitent obtenir une «clause de dérogation horizontale pour toutes les obligations liées au principe de l’accès au marché et au principe du traitement national. » Ils invitent par la même occasion la Commission européenne a précisé, conformément au point 20 du mandat de négociation que leur a accordé les Etats membres, que les services régaliens relevant de l’exercice du pouvoir gouvernemental soient exclus du traité transatlantique.
Alors « qu’actuellement, 85 % des marchés publics passés au sein de l’Union européenne sont déjà accessibles aux soumissionnaires américains, contre 32 % seulement des marchés publics américains qui sont accessibles aux soumissionnaires de l’UE », le Comité européen des régions souhaite aller plus loin que l’obtention d’une simple réciprocité.
Critères qualitatifs des marchés publics - Ils souhaitent entendre la Commission européenne garantir que « les aspects normatifs de la législation de l’Union en matière de marchés publics ne doivent pas être remis en question, […] s’agissant par exemple du respect des dispositions sociales, conventionnelles et de droit du travail, des marchés publics verts ou de la prise en compte des petites et moyennes entreprises (PME), autant de règles qui garantissent, pour l’adjudication au mieux-disant, qu’outre le prix, d’autres critères peuvent ainsi entrer en ligne de compte, tels que les aspects sociaux et les critères de durabilité. »
Sur le dossier de la protection des investissements, les représentants européens des élus locaux rejoignent la position des sénateurs français exprimée début février : les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et Etats ne devront en aucun cas remettre en cause la légitimité démocratique des choix politiques souverains tout comme ils ne devront pas permettre de contourner les juridictions nationales.
Des entreprises surpuissantes ? - « La politique doit continuer à primer sur l’économie. Il ne faut pas que le droit des entreprises prime sur ceux des citoyens, des collectivités territoriales ou des Etats » a stipulé le socialiste Peter Kaiser (PSE). En guise de réponse, Cécilia Malmström leur a assuré qu’il n’y aurait « aucune remise en cause du droit à règlementer. »
Autre dossier sensible ayant retenu l’attention du Comité des Régions, l’agriculture et particulièrement les labels garantissant l’appellation des produits. Objectif : éviter que les terroirs soient purement et simplement transformés en marques commerciales.
Appelations : emplois non-délocalisables - Saluant un traité « vital pour les PME », José Luis Sanchez de Muniain Lacasia a insisté sur le besoin de défendre et protéger les indications géographiques européennes. « Les emplois générés par les appellations et les indications sont difficilement délocalisables et sont répartis équitablement à travers l’ensemble du territoire, y compris les zones rurales. Cela représente une garantie de notre cohésion territoriale » a justifié le porte-parole du gouvernement de Navarre (Espagne).
L’avis de Markus Töns réclame donc « un chapitre spécifiquement consacré aux indications géographiques, qui faciliterait la mise en place d’un système de reconnaissance mutuelle des appellations européennes et américaines, ainsi que l’adoption de règles garantissant un niveau raisonnable de protection des indications géographiques dans les deux systèmes juridiques au moyen d’indications spécifiques sur l’utilisation générique du nom d’un produit et/ou de son lieu de production. »