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Devoir de vigilance des multinationales, le Sénat fait de la résistance

Publié aux Echos

Le Sénat adopte une exception d’irrecevabilité à l’encontre du projet de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, l’estimant inconstitutionnel

Véritable serpent de mer, le projet de loi sur le devoir de vigilance des multinationales (sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre) vient, une nouvelle fois, de voir son parcours contrarié

Le 1er février dernier, le Sénat a adopté une exception d'irrecevabilité. C'est l'article 44 alinéa 2 du règlement du Sénat qui prévoit cette exception dont l'objet est de faire reconnaître que le texte en discussion est contraire à une disposition constitutionnelle.

 

Un projet de loi manifestement inconstitutionnel

 

Le Sénat estime ainsi que ce projet de loi comporte des dispositions contraires à la constitution. Et elles sont nombreuses :

 

En premier lieu, si l'Assemblée nationale a amélioré la rédaction des dispositions relatives au contenu du plan de vigilance, réduisant le risque au regard du principe de légalité des délits et des peines, un certain nombre d'imprécisions subsistent : renvoi à un décret en Conseil d'État pour compléter la liste des mesures de vigilance, méconnaissant le principe de légalité des délits et des peines, et incertitudes sur le champ exact des fournisseurs et sous-traitants à prendre en compte dans le plan de vigilance, sur la personne susceptible de mettre la société en demeure, avant toute saisine du juge, de respecter ses obligations relatives au plan de vigilance et sur les modalités d'élaboration du plan « en association avec les parties prenantes de la société », soulevant des difficultés au regard du principe de clarté de la loi, du principe de normativité de la loi et de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

 

En deuxième lieu, si le montant de l'amende civile prononcée en cas de manquement aux obligations relatives au plan de vigilance doit désormais être proportionné au manquement, le montant encouru de 10 millions d'euros - et désormais porté à 30 millions d'euros lorsqu'une action en responsabilité a été engagée en cas dommage susceptible de résulter du manquement - pose toujours un sérieux problème au regard des principes de proportionnalité et de nécessité des peines. À l'évidence, cette amende civile a le caractère d'une punition au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et doit donc respecter tous les principes constitutionnels de droit pénal. Au surplus, prévoir un dispositif aussi manifestement punitif dans le cadre de la procédure civile est problématique.

 

En troisième lieu, le régime spécifique de responsabilité, prévu en cas de dommage susceptible de résulter d'un manquement aux obligations relatives au plan de vigilance, méconnaît le principe de responsabilité tel qu'il a été interprété par le Conseil constitutionnel, en permettant d'engager la responsabilité de la société du fait d'une faute d'un tiers (filiale, fournisseur ou sous-traitant) et en prévoyant une indemnisation du préjudice résultant d'un dommage dont le lien de causalité avec un manquement aux obligations relative au plan de vigilance n'est pas clairement démontré.

 

En dernier lieu, le dispositif d'entrée en vigueur est particulièrement peu clair et ne permet pas aux sociétés concernées de connaître la consistance précise de leurs obligations dans le temps, portant atteinte au principe de clarté de la loi et à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

Une rédaction excessive

 

Ces critiques sont parfaitement fondées en droit et peuvent finalement se résumer dans l'impossibilité d'appréhender avec précision la nature des obligations nouvelles à mettre en place. Nombre d'entreprises visées par ce projet de loi l'appréhendent avec grande angoisse ne discernant pas concrètement ce qui va leur être imposé.

 

Il en ressort un fort goût de punition des multinationales qui sont présumées défaillantes de par leur puissance avant même d'avoir commis la moindre faute.

 

Ce devoir de vigilance respire fort des principes de la compliance qui n'est pas toujours bien appréhendée par le droit. Il est vrai que le glissement constaté du droit du commerce international vers le droit de la régulation économique internationale est vécu comme s'affranchissant de la rigueur du premier. La régulation internationale, de par son éloignement du juge national, est parfois jugée plus floue.

 

Pour autant, le projet de loi examiné ici est du droit français dont la confection exige rigueur et précision. Il est totalement incompréhensible que sous le prétexte que vigilance rime avec conformité ou compliance, la rédaction soit aussi maladroite, approximative.

 

Il suffit de retracer l'historique de ce projet de loi pour peser l'amateurisme qui a présidé à sa création. Le drame de l'effondrement du Raza Platza, en 2013, a fait bondir députés écologistes et socialistes qui en ont fait le symbole des multinationales pourries qui exploitent la misère du monde, et qu'il fallait à tout prix sanctionner. Il leur était possible de le faire, même s'il nous appartient de juger l'idée funeste. Encore fallait-il cependant donner un cadre légal et constitutionnel et éviter les outrances et autres excès.

 

Ce projet de loi est l'illustration de ce que l'idéologie est toujours mauvaise conseillère, surtout en matière législative


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