Les nouvelles routes d’approvisionnement de l’industrie textile
Le textile est aux avant-postes de l’économie mondiale et l’étude annuelle publiée à l’occasion du principal salon mondial du textile, Première Vision, qui se tient à Villepinte (Seine-Saint-Denis) jusqu’au jeudi 12 février, donne le pouls de ces grands échanges planétaires.
Fait nouveau, la Chine, dont les exportations vers l’Union européenne se tassaient sévèrement depuis 2011, rebondit. Mais de nouveaux fournisseurs montent aussi en puissance, portés à la fois par des facilités douanières et des bas coûts de main-d’œuvre : c’est le cas, par exemple, du Kenya pour les États-Unis, ou encore, pour le Vieux Continent, de certains pays d’Europe centrale, comme la Moldavie, ou la Macédoine.
- La Chine conforte sa position en Europe et aux États-Unis
Premiers fournisseurs de vêtements dans l’Union européenne, les industriels chinois affichent une hausse de 5 %, à 28 milliards d’euros de leurs exportations sur les trois premiers trimestres 2014, selon l’étude de la fédération de la maille et de la lingerie. De façon plus générale, les importations européennes d’habillement ont augmenté de + 8 %, à 55,4 milliards d’euros sur cette période.
Aux États-Unis aussi, les importations de vêtements progressent toujours et ont atteint 75,8 milliards de dollars (66,9 milliards d’euros) sur les onze premiers mois de 2014. La Chine occupe la première place dans ces importations.
- Lle Bangladesh souffre, le Kenya sourit
Aux États-Unis, le Bangladesh, à la quatrième place des fournisseurs, connaît des difficultés. Barack Obama a retiré à ce pays le privilège d’un accès douanier gratuit aux États-Unis après la tragédie du Rana Plaza, qui avait fait 1 135 morts en avril 2013.
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La géopolitique textile et le sourcing – les pays où s’approvisionnent les donneurs d’ordre – évoluent rapidement, de façon souvent aussi cynique que le dumping et la recherche incessante de coûts de main-d’œuvre les plus bas possibles.
C’est ainsi par exemple que le Kenya a vu l’an dernier ses exportations bondir de 23,7 % presque exclusivement vers son premier marché, les États-Unis. Dans le cadre de l’AGOA en effet, les exportateurs kényans ne paieront pas de droits de douane pour les États-Unis jusqu’à fin 2015 et ils militent activement pour proroger cet accord.
- Les ateliers de Moldavie et de Macédoine alimentent l’Europe
Autre exemple en Europe. De plus en plus d’industriels italiens ou anglais, comme les maisons de luxe Armani, Dolce Gabbana, Versace, Moncler ou Prada, mais aussi les spécialistes de la mode à plus petits prix, comme Primark ou Benetton, sous-traitent en Moldavie, où le salaire moyen mensuel est de 210 euros.
À Tiraspol, en Transnistrie, une des plus grandes entreprises textiles d’Europe affiche une capacité de production annuelle de 140 millions de mètres carrés de tissus ennoblis. Un reste historique du temps où cette région fournissait tous les uniformes soviétiques.
Les exportations moldaves à destination de l’UE sont exonérées de droits de douane. Cela vaut aussi pour la Macédoine, qui compte elle aussi comme clients prestigieux Hugo Boss, Escada, Just Cavalli ou encore, dans la mode peu chère, Topshop.
Depuis 2014, le système généralisé de préférences tarifaires - qui vise à aider certains pays à exporter - par des réductions ou des suppressions de droits de douane a été ramené de 177 à 90.
- Taxes douanières et marchés publics au cœur du traité transatlantique
Cette question de la facilitation des procédures douanières est aussi au centre des négociations du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), dont le neuvième « round » est prévu en avril, à Washington. À terme, l’idée est d’arriver « à ne plus avoir de taxes douanières », des deux côtés de l’Atlantique a indiqué au « Monde », Gail Stricker qui négocie pour les États-Unis.
Les travaux des représentants américains et européens se focalisent aussi sur les problèmes réglementaires visant à protéger les consommateurs et sur l’épineuse règle d’origine. « Pour faciliter les échanges commerciaux, nous demandons de lever des obstacles existants », explique au « Monde » Isabelle Weiler, en charge du commerce et de l’industrie au sein d’Euratex, la confédération européenne du textile et de l’habillement basé à Bruxelles.
Sont sur la table toute une série des questions techniques comme l’étiquetage (les informations données ne sont pas les mêmes d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique), les tests d’inflammabilité des tissus (ils ne sont pas identiques, même s’ils exigent le même niveau de protection), ou encore les critères de non-dangerosité des vêtements pour enfants.
Autre chantier complexe dans ces négociations, l’accès aux marchés publics. L’amendement Berry interdit par exemple aujourd’hui aux entreprises non américaines de participer à un appel d’offres visant à habiller les militaires américains. Réciproquement, même s’il n’existe pas de législation de ce type en France, il est très difficile aux entreprises textiles américaines d’obtenir un marché pour les uniformes des soldats français.
« Nous en sommes aux discussions préliminaires sur ce dossier », confirme Gail Stricker qui négocie parallèlement pour les États-Unis dans l'’accord de partenariat transpacifique (Trans Pacific Partnership) depuis quatre ans.
- À la recherche de règles communes pour l’indication de l’origine des produits
En ce qui concerne la recherche des règles communes pour l’indication de l’origine des produits, les revendications diffèrent selon les caractéristiques des deux marchés. Aux États-Unis, la filière est très intégrée et comprend aussi bien la production de fil (notamment de coton et de polyester) que le tissage et la confection.
En Europe, la moitié des textiles produits est utilisée non pas dans la mode mais dans l’aérospatiale, la construction, la santé…
« Aujourd’hui, c’est le pays où s’effectue la dernière opération qui peut figurer sur l’étiquette », explique Gail Stricker. Pour une chemise, si le fil vient des États-Unis, le tissage du Costa Rica et la confection du Salvador, c’est ce dernier qui figurera sur l’étiquette.
Ce qui est en jeu dans les négociations TTIP n’est pas tant le nom du pays retenu, mais le nombre d’opérations effectuées sur le même territoire.
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