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Admission du recours en révision de la sentence Tapie c. Crédit lyonnais

Dans un arrêt édifiant, la cour d’appel de Paris, considérant qu’une « fraude à la sentence arbitrale » a été commise, rétracte la sentence rendue par un tribunal arbitral en 2008 en faveur de Bernard Tapie dans le cadre du litige qui l’opposait de longue date à son ancienne banque, le Crédit lyonnais.

 

Une sentence très favorable à Bernard Tapie

Que l’on aime ou que l’on déteste Bernard Tapie, force est de reconnaître que l’ancien homme d’affaires devenu ministre aura abondamment contribué à alimenter la jurisprudence et cela, dans de nombreuses branches du droit : du droit des sociétés au droit des entreprises en difficulté, en passant par le droit fiscal et le droit pénal, et même le contentieux administratif (CAA Paris, 3e ch., 31 déc. 2010, n° 09PA06892, Dalloz jurisprudence), il n’est guère de disciplines juridiques qui ont échappé à son emprise (pour des exemples, V. M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 27e éd., LexisNexis, 2014, nos 1209 et 1968). C’est aujourd’hui de droit de l’arbitrage – et à ses dépens – dont il est question, dans cet arrêt de toute première importance rendu par la cour d’appel de Paris le 17 février 2015. Cette décision constitue même une étape décisive – mais pas la dernière, loin de là – du conflit, qui remonte au début des années 1990, opposant Bernard Tapie à son ancienne banque, le Crédit lyonnais, à propos de la vente d’Adidas. Très schématiquement, Tapie reprochait au Crédit lyonnais d’avoir commis une faute dans l’exécution du mandat de revente, confié à la banque, des actions Adidas qu’il détenait, en le privant indûment d’une plus-value de cession. L’affaire était montée jusqu’à l’assemblée plénière de la Cour de cassation, laquelle avait rejeté toute faute de la part du banquier, contrairement à l’arrêt d’appel, qu’elle avait par conséquent cassé (Cass., ass. plén., 9 oct. 2006, n° 06-11.056, Bull. ass. plén., n° 11 ; D. 2006. 2933 , note D. Houtcieff ; ibid. 2525, obs. X. Delpech ; ibid. 2007. 753, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2007. 408, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2007. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 145, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 148, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2007. 207, obs. D. Legeais ; JCP 2006. II. 10175, note T. Bonneau). Mais, au lieu de laisser à une cour de renvoi le soin de conclure l’affaire, c’est à un tribunal arbitral ad hoc que les parties – Bernard Tapie et, non pas le Crédit lyonnais, mais le Consortium de réalisation (CDR), organisme chargé d’apurer le passif de la banque à la suite des difficultés rencontrées par cette dernière – ont, via un compromis d’arbitrage, confié la mission de solder leur contentieux. Or, à la surprise générale, par sentence rendue le 7 juillet 2008, le tribunal arbitral a considéré que le CDR avait commis une faute, condamnant le consortium à payer à Bernard Tapie 240 millions d’euros au titre du préjudice matériel et 45 millions d’euros au titre du préjudice moral (sur laquelle, V. RLDA n° 33/2008, p. 27, obs. V. Forti).

Le choix du recours en révision

Ce fut évidemment, vu l’énormité des sommes en cause, la stupéfaction. D’autant que le tribunal arbitral ayant rendu la sentence était composé de trois personnalités dont la compétence et l’intégrité étaient a priori indiscutables : Pierre Mazeaud, Jean-Denis Bredin et l’ancien magistrat Pierre Estoup, le premier des trois étant désigné président du tribunal arbitral. Pourtant, très vite des soupçons s’éveillent ; ils se cristallisent tout particulièrement sur la personne de Pierre Estoup, arbitre désigné par Bernard Tapie et dont les liens existants avec ce dernier et son avocat, d’abord niés, se révèlent peu à peu au grand jour. Curieusement, pourtant, l’idée d’exercer un recours ne rencontre guère d’écho ; elle est même défendue, semble-t-il, uniquement par le professeur de droit Thomas Clay, spécialiste de l’arbitrage. Elle l’est d’autant moins que, dans le compromis d’arbitrage, les parties s’étaient engagées à renoncer à tout appel. Ce n’est qu’en 2013, à la faveur d’un changement de majorité politique, que le CDR engage un recours en annulation, lequel est déclaré irrecevable car tardif. Dès lors, la seule option procédurale possible pour contester la sentence était le recours en révision (C. pr. civ., art. 1502 et 1491 anc.). Il s’agit d’une voie de recours extraordinaire qui permet de demander, dans des cas très limités, qui se rattachent à l’idée de fraude, de réexaminer une décision définitive, en raison de nouveaux éléments. Précisément, le recours en révision « tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit » (C. pr. civ., art. 593). Cette voie de droit, qui n’est d’ailleurs pas spécifique à l’arbitrage, n’est que très rarement accueillie (V. par ex., pour une hypothèse de rejet, qui a débouché sur la condamnation de l’auteur du recours à des dommages-intérêts pour abus du droit d’ester en justice, Civ. 1re, 9 janv. 2007, n° 05-10.098, Bull. civ. I, n° 10 ; D. 2007. 451 ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ) – et même explorée –, en raison de la difficulté, pour le demandeur, à établir que des éléments nouveaux attestent que l’arbitrage a été rendu de manière frauduleuse. Or, entre temps, une instruction pénale a été ouverte, laquelle a notamment conduit à la mise en examen de Pierre Estoup, de Bernard Tapie et de Maurice Lantourne, principal avocat de Tapie – tous trois pour escroquerie (à la sentence arbitrale ?) en bande organisée –, ainsi que d’autres protagonistes de l’affaire. Les magistrats parisiens, écartant l’argument du secret de l’instruction opposé par Tapie, ont pu utiliser les pièces issues de cette procédure pénale pour établir la fraude. C’est peu dire que cette instruction pénale a offert au CDR un formidable coup de pouce, en contribuant à alléger considérablement le fardeau de la preuve.

Les arguments procéduraux de Bernard Tapie

Il n’allait néanmoins pas de soi que la cour d’appel de Paris se prononce en faveur de la recevabilité du recours en révision. Cette recevabilité a d’abord été contestée par Bernard Tapie, et c’est de bonne guerre, sur plusieurs fondements procéduraux, diversement convaincants au demeurant. Parmi ceux-ci, le fait que l’arbitrage en cause revêtirait un caractère international (dans la mesure où l’opération économique à l’origine du litige consistait en un mandat de vente et la cession, par une société française, de parts sociales d’une société de droit allemand, Adidas). Or, un recours en révision n’est admis devant la cour d’appel qu’en cas d’arbitrage interne, sauf convention contraire (C. pr. civ., art. 1506, 5°, et 1507 anc.). Cette qualification d’arbitrage international est pourtant écartée par la cour d’appel de Paris. Cela, dans la mesure où les arbitres ont été saisis en application d’un compromis ayant pour objet non pas le contrat de vente des titres – opération dont l’internationalité est probablement incontestable –, mais le mandat de vendre lesdits titres, qui concerne les seules relations entre Tapie et le Crédit lyonnais. La Cour ajoute même que le compromis était destiné, plus largement, à « résoudre de manière “globale et définitive” les contentieux [il y en a pas moins de huit !] opposant les parties devant diverses juridictions étatiques » (p. 15). Or, relève-t-elle, en faisant un clin d’œil à la « doctrine Matter » (concl. ss Civ. 17 mai 1927, DP 1928. 1. 25, note H. Capitant), « leur solution, quelle qu’elle soit, n’emportera pas de flux financier ou de transfert de valeurs au travers des frontières » (p. 15). L’arbitrage est donc bien interne, de telle sorte que la voie de la révision est ouverte, « devant la cour d’appel qui eût été compétente pour connaître des autres recours contre la sentence » (p. 16), c’est-à-dire devant la cour d’appel de Paris.

La caractérisation de la fraude

Mais c’est sur la question de l’existence de la fraude que l’arrêt de la cour d’appel de Paris se montre particulièrement édifiant. C’est là que réside, si l’on peut dire, son plat de résistance. Comme souvent, la fraude ne résulte pas d’un fait isolé, mais d’un faisceau d’indices concordants. Plusieurs éléments sont d’ailleurs retenus pour corroborer cette fraude. L’un des plus décisifs réside dans la proximité personnelle de Pierre Estoup avec Bernard Tapie et l’avocat Maurice Lantourne (éléments que l‘arbitre avait omis de mentionner dans sa déclaration d’indépendance, au mépris de son obligation de révélation, étendue en l’espèce, de toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité, à laquelle le droit français de l’arbitrage se montre particulièrement attaché ; V. C. pr. civ., art. 1456, al. 2 ; Civ. 1re, 20 oct. 2010, nos 09-68.997 et 09-68.131, Dalloz actulaité, 29 oct. 2010, obs. X. Delpech ; D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; JCP 2010. 1286, obs. C. Seraglini ; ibid. 1306, obs. B. Le Bars et J. Juvénal ; LPA 21 févr. 2011, p. 17, note M. Henry ; RJ com. 2011. 80, note B. Moreau). La Cour va jusqu’à considérer que « la dissimulation de ces liens anciens, étroits et répétés participe de l’accomplissement du dessein ourdi par l’arbitre de concert avec Monsieur Tapie et son représentant, de favoriser au cours de l’arbitrage les intérêts de cette partie » (p. 25). Mais c’est surtout l’attitude de Pierre Estoup au cours de l’arbitrage qui est fustigée. Les termes utilisés par la Cour sont particulièrement accablants à son endroit. On peut même être étonné de les découvrir dans une décision de justice. Qu’on en juge : « fort de sa grande pratique de ce mode de règlement des litiges [qu’est l’arbitrage] ainsi que de l’autorité attachée à son ancienne qualité de haut magistrat, [Pierre Estoup] s’est employé, à seule fin d’orienter la solution de l’arbitrage dans le sens favorable aux intérêts d’une partie, à exercer au sein du tribunal arbitral un rôle prépondérant et à marginaliser ses co-arbitres poussés à l’effacement par facilité, excès de confiance, parti pris, voire incompétence » (p. 25). Et la Cour d’en conclure « qu’il est, ainsi, démontré que Monsieur Estoup, au mépris de l’exigence d’impartialité qui est de l’essence même de la fonction arbitrale, a, en assurant une mainmise sans partage sur la procédure arbitrale, en présentant le litige de manière univoque puis en orientant délibérément et systématiquement la réflexion du tribunal en faveur des intérêts de la partie qu’il entendait favoriser par connivence avec celle-ci et son conseil, exercé une influence déterminante et a surpris par fraude la décision du tribunal arbitral » (p. 27). Les mots sont très durs…

La sentence est « rétractée ». Mais encore ?

Le recours en révision, dont les conditions se trouvent donc réunies, selon la cour d’appel de Paris, est en conséquence accueilli. Il convient, dès lors, « d’ordonner la rétractation de la sentence arbitrale » (p. 27). La notion de rétractation ne se rattache pourtant pas à la panoplie des sanctions habituellement admises en droit français en cas d’imperfection d’un acte juridique. Si l’on considère que la nullité est la sanction civile normalement attachée à la fraude (V. par ex. Civ. 1re, 4 déc. 2001, n° 99-15.629, D. 2002. 2217, et les obs. , note V. Bonnet ; ibid. 2442, obs. M. Nicod ), alors il n’est sans doute pas audacieux d’affirmer que la rétractation d’une sentence arbitrale peut être assimilée à la nullité de celle-ci. Mais encore ? Quelle est la suite ? Peut-on admettre, puisque « ce qui est nul est de nul effet » (Quod nullum est…), que Bernard Tapie soit automatiquement tenu de restituer les sommes qu’il a indûment perçues à raison de la sentence arbitrale rétractée ? Aurait-il fallu, pour qu’il en fût ainsi, que la cour d’appel de Paris exige expressément une telle restitution ? Il était probablement hasardeux d’attendre que les magistrats parisiens formulent une telle exigence, sous peine de se voir reprocher de statuer ultra petita. En réalité, il reviendra à la cour d’appel de Paris, qui demeure compétente sur le fond, de statuer sur ce point – ce qu’elle fera dès l’automne prochain, l’audience devant s’ouvrir ce 29 septembre. On sait pourtant que Bernard Tapie a saisi en octobre 2014 le tribunal de commerce de Paris, comme juge d’appui, pour lui demander de désigner trois nouveaux arbitres pour remplacer ceux qui ont rendu la sentence du 7 juillet 2008 en sa faveur. Mais le tribunal a sursis à statuer, renvoyant au 3 mars 2015 la désignation éventuelle de nouveaux arbitres pour recomposer le tribunal arbitral, le temps que la cour d’appel de Paris se prononce sur le recours en révision de cet arbitrage (V. R. Dupeyré, Arbitrage Tapie : de nouveaux arbitres vont-ils être désignés ?, Le Cercle/Les Echos, 14 janv. 2015). Du fait de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 février 2015, le tribunal de commerce devrait logiquement rejeter la demande. On constatera, pour conclure, que, si la sentence est de facto annulée, tel n’est pas le cas, à l’inverse, du compromis d’arbitrage, dont l’annulation n’avait d’ailleurs pas été sollicitée devant la cour d’appel de Paris. Le compromis demeurant valable, la cour d’appel de Paris, juge étatique, devra statuer au fond en étant tenue par les termes de celui-ci, aussi bizarre que cela puisse paraître, et en particulier par le plafond d’indemnisation fixé par les parties. Il s’agit là d’un élément dont il faudra tenir compte si d’aventure – et c’est fort probable – Bernard Tapie réclame devant la cour d’appel de Paris une indemnisation d’un montant très élevé. De même, la Cour devra faire masse de l’ensemble des litiges entrant dans le champ du compromis et statuer sur chacun d’entre eux. Mais d’autres péripéties ne sont pas à exclure. Il faut s’attendre, en particulier, à un pourvoi de Bernard Tapie contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 février 2015, voire de la partie perdante contre celui qui sera rendu cet automne. Sans parler de la procédure pénale en cours, qui devrait déboucher sur un procès en correctionnel. À cet égard, en dépit de l’indépendance du juge pénal par rapport au juge civil, il est fort concevable que l’arrêt du 17 février 2015, en raison de sa force et de son retentissement, soit pris en compte comme élément à charge par le tribunal correctionnel… Bref, on l’aura compris, le feuilleton Tapie est encore loin d’avoir atteint son dernier épisode…

 
par Xavier Delpechle 20 février 2015

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