Loin de l’éphémère amendement parisien, Bruxelles planche depuis un an sur une harmonisation à minima au sein de l’UE. Le travail des députés va s’accélérer dans les semaines à venir. Des inquiétudes pointent déjà.
Bien tenté. Ainsi pourrait être résumé le coup de force manqué de quelques députés du Palais Bourbon pour renforcer de façon drastique les sanctions vis-à-vis des contrevenants au secret d’affaires, journalistes et lanceurs d’alerte compris.
Face à la polémique, le ministre de l’Économie a essayé, le 29 janvier, de justifier le projet lors de ses voeux à la presse, estimant que la législation française était inadaptée :
« Nous sommes défaillants à beaucoup d’égards. [Nous nous faisons] plus facilement espionner que dans beaucoup de pays voisins. »
Solidifier le marché unique
Mais, face à la levée massive de boucliers, le gouvernement a capitulé et abandonné toute nouvelle législation à ce sujet. L’urgence de protéger les entreprises françaises de la voracité de leurs concurrentes internationales évoquée la veille n’était plus…
Et si le salut venait de Bruxelles ?
Bien avant l’épisode parisien, la Commission européenne a proposé, en novembre 2013, une directive sur le secret des affaires. Son objectif n’est pas de créer un nouveau droit, qui existe déjà dans presque tous les États, mais de clarifier les définitions et procédures au sein du marché unique.
L’espionnage industriel ou l’obtention malhonnête d’informations est aussi une réalité entre Européens. À titre d’exemple, en septembre 2013, le groupe Bolloré a accusé le constructeur allemand BMW d’avoir mandaté un cabinet de conseil pour récupérer des bornes d’Autolib’à Paris pour ensuite les démonter et percer les secrets du groupe français. Une plainte a été déposée.
Selon les études d’impacts de la Direction générale du Marché intérieur, en 2013, une entreprise européenne sur quatre a fait état d’au moins un cas de vol d’informations. Or, la complexité des législations nationales empêche bien souvent les acteurs lésés de faire valoir leurs droits au-delà de leur frontière. L’harmonisation leur permettrait aussi de demander à un autre État que le leur de faire cesser l’importation d’un produit issu du vol d’un secret des affaires.
« En phase préparatoire, quand nous avons interrogé les entreprises, en particulier des PME, toutes nous répondaient que cette législation était nécessaire », explique une source proche du dossier.
Dans une économie qui repose à 70 % sur les services, la Commission juge les brevets inadaptés pour protéger un savoir-faire.
Scepticisme des Verts
Fait rare quand il s’agit d’harmoniser, le texte a provoqué un certain enthousiasme des États. En six mois, ils ont trouvé un compromis sur les modifications à apporter à la proposition initiale. Les discussions les ont même poussés à la renforcer en proposant un délai de six ans pour porter une affaire en justice, contre seulement deux proposés par l’exécutif.
La directive est aujourd’hui entre les mains de la commission des Affaires juridiques du Parlement européen. La députée UMP Constance Le Grip a été nommée rapporteure. Elle doit rendre une première version de son travail le 24 février.
“Le projet initial de la Commission est déjà assez équilibré entre la protection et la circulation des connaissances. La situation particulière des journalistes, des représentants du personnel et des lanceurs d’alerte est précisée, explique-t-elle. Je suis encore en phase d’écoute et de concertation avec mes homologues des autres partis. Quelques améliorations sont envisageables, mais pas de bouleversement. ”
Une sérénité que ne pas partage pas l’élu d’Europe Ecologie Les Verts, Pascal Durand. Avocat de formation, il craint une définition trop large du secret des affaires, qui permettrait aux grandes entreprises de protéger leurs activités de façon excessive, voir même de substituer ce secret aux brevets, plus réglementés.
“Il y a énormément de dangers dans cette directive. Le débat européen est bien plus démocratique que ce qui s’est fait à Paris, mais le risque est aussi d’aller vers moins de transparence”, affirme-t-il.
Pour les écologistes, la discussion actuelle est à mettre en relation avec les négociations autour de l’accord de libre échange avec les États-Unis. II existe une volonté « d’introduire des notions proches de celles des Américains dans le droit européen pour rassurer les investisseurs », mais sans les garde-fous qui vont avec, estime Pascal Durand.
“La protection ne doit être effective que quand il s’agit d’un intérêt légitime. Est-ce le cas quand une entreprise prépare une délocalisation ? Ou lorsqu’elle utilise des produits nocifs pour l’environnement ? Nous devons être plus précis. ”
Constance Le Grip tempère en rappelant que l’article 4 de la directive prévoit des exceptions à la protection, et que rien n’empêche de revoir la liste.
La rapporteure se veut optimiste et espère un accord d’ici la fin de l’année. Tout dépendra des positions défendues par les Libéraux - traditionnellement favorable au secret des affaires - et les sociaux-démocrates, pas opposés au projet mais plus suceptibles de se diviser. Un compromis devra ensuite être trouvé avec les États.
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